✍🏻 Franck Junod
Les livres ont toujours été pour moi des fenêtres ouvertes sur des mondes lointains, des aventures palpitantes et des paysages enchâssés dans les pages d’encre. Enfant, je me perdais dans les histoires de Tintin qui traversait des pays exotiques, je vivais les péripéties de Croc-Blanc dans les régions arctiques et je m’émerveillais des explorations fantastiques de Jules Verne. Avec l’âge, ces rêves se sont transformés en aventures réelles, que ce soit à travers des ascensions en montagne ou des explorations en milieu sauvage. Cependant, malgré toutes ces expériences, les récits littéraires continuent de captiver mon esprit et d’éveiller ma curiosité.
L’un des ouvrages qui a eu un impact profond sur moi est « Kukum » de Michel Jean. Ce roman plonge le lecteur dans l’univers des Innus, un peuple autochtone du Québec. La profondeur de la culture et de l’histoire des Innus, décrites avec tant de sensibilité par Michel Jean, m’a marqué. Le roman raconte l’histoire de la résistance et de la résilience face aux bouleversements apportés par la colonisation européenne, offrant une perspective précieuse sur les luttes des peuples autochtones pour préserver leur identité et leurs traditions.
Le territoire ancestral des Innus
L’intrigue de « Kukum » se déroule principalement dans le Nitassinan, le territoire ancestral des Innus, qui est décrit avec une telle vivacité que j’ai ressenti le besoin de vivre cette expérience de manière directe. Pour comprendre pleinement les réalités et les défis décrits dans le livre, j’ai décidé d’organiser une expédition pour explorer ce territoire en suivant les traces des Innus.
La préparation de cette aventure a été aussi intense que le voyage lui-même. Avec une équipe de confiance, composée de Bruno, un ami de longue date avec qui j’ai partagé de nombreuses aventures, Thibaut, un cousin expert en canyoning, et Alain, un autre cousin qui a également été un partenaire d’aventure, nous avons entamé les préparatifs. Chacun de nous avait un rôle précis : Alain se chargerait de la cuisine, Thibaut serait le photographe, Bruno assurerait la navigation, et moi, je serais le narrateur de notre voyage.
Le choix de suivre le parcours des Innus en remontant la rivière Péribonka à pied et en la redescendant en kayak a été motivé par le désir de vivre une expérience authentique. L’idée de construire un canoë en écorce de bouleau, comme le faisaient les Innus traditionnellement, a été abandonnée en raison des compétences spécifiques nécessaires et du temps limité dont nous disposions. À la place, nous avons opté pour des packrafts, des embarcations légères et polyvalentes qui nous permettraient de naviguer sur les eaux tout en restant mobiles.
Le processus de préparation a été méticuleux. Nous avons contacté des marques pour obtenir le matériel nécessaire, des vêtements en néoprène aux gilets de sauvetage, en passant par les sacs étanches, les packcrafts et les lunettes de soleil. La répartition de l’équipement a transformé notre salon en un véritable centre de préparation, avec des piles de matériel à trier et à organiser. L’achat de nourriture lyophilisée et d’autres provisions a complété notre préparation.
Les formalités administratives ont également été un défi : demande d’AVE pour le Canada, réservation des billets d’avion, location de voiture, réservation du camping à Mashteuiatsh, abonnement à un téléphone satellite, et souscription à une assurance médicale. Une fois toutes ces démarches accomplies, nous étions prêts à partir pour Montréal.
Le voyage en avion de Genève à Montréal a été marqué par une série d’incidents imprévus. Après une escale à Londres, nous avons découvert avec désarroi que seulement trois de nos huit bagages étaient arrivés à destination. La situation a nécessité des heures de démarches administratives pour signaler la perte, mais nous avons finalement récupéré la voiture et pris la route vers Trois-Rivières, puis vers Mashteuiatsh.
Un monde magique à explorer
À Mashteuiatsh, la première nuit a été marquée par un spectacle céleste inoubliable : des aurores boréales dansant dans le ciel nocturne. Ce phénomène naturel a ajouté une touche de mystère et de beauté à notre voyage, et nous a rappelé la magie du monde naturel que nous étions venus explorer.
Les premiers jours de l’expédition ont commencé par une marche de 76 kilomètres en relais depuis la marina Péribonka. La rivière Péribonka, majestueuse et puissante, nous a offert des paysages variés : des lacs sereins entourés de forêts denses, des étendues d’eau calmes et des forêts de conifères. Chaque jour apportait de nouveaux défis, notamment des conditions météorologiques imprévisibles, des orages et des averses, qui rendaient le terrain parfois difficile.
Nous avons rapidement pris nos repères avec les packrafts, apprenant à les manier avec habileté et à les transporter lorsque nécessaire. Nos bivouacs étaient marqués par une routine bien établie : monter les tentes, préparer les repas, et admirer les paysages environnants tout en respectant les principes de l’Innu-Aimun, la langue des Innus. Nous avons intégré dans notre quotidien la philosophie « Leave No Trace » (ne laisser aucune trace), essentielle pour préserver la nature intacte.
Le portage autour des barrages et des rapides a constitué un défi important. Nous avons dû transporter nos équipements à travers des terrains variés, en évitant les zones dangereuses. La traversée des rapides du dernier barrage, en particulier, a nécessité une grande prudence. L’effort physique intense et les moments de repos en bord de rivière ont créé une camaraderie forte entre les membres de l’équipe, nous permettant de surmonter ensemble les difficultés rencontrées.
Un moment mémorable de notre voyage a été la rencontre inattendue avec un ours noir. Cet incident, bien que non photographié, est resté gravé dans nos mémoires comme une rencontre avec la vie sauvage qui nous entourait. Les paysages spectaculaires que nous avons découverts au fil de notre voyage ont renforcé notre respect pour la nature et la faune locales.
Les nuits au camp ont été marquées par des soirées autour du feu, où nous avons partagé des histoires, des réflexions et des moments de silence contemplatif en regardant les étoiles. La beauté des aurores boréales et des ciels nocturnes a été un point culminant de notre expérience, nous rappelant la grandeur et la majesté du monde naturel.
Dans la peau des Innus
Les défis continuels de l’expédition, des conditions météorologiques aux terrains variés, nous ont appris à être flexibles et adaptables. Nous avons dû souvent improviser des solutions, que ce soit pour trouver des aires de bivouac ou pour gérer les effets de la fatigue accumulée. Cette résilience et cette capacité à s’adapter ont été essentielles pour mener à bien notre voyage.
À chaque étape, nous avons réfléchi aux défis que les Innus devaient affronter en remontant cette rivière à l’automne et en la descendant au printemps. Ces réflexions ont enrichi notre compréhension de la culture Innu et de la façon dont leur mode de vie était étroitement lié à leur environnement. Les récits historiques et les traditions des Innus sont devenus plus tangibles et significatifs à travers notre propre expérience physique et émotionnelle.
L’arrivée à Péribonka a marqué la fin de notre voyage avec une rencontre chaleureuse avec les habitants locaux. L’ancien maire de Péribonka nous a accueillis et a partagé des informations sur les particularités de la région, ajoutant une dimension supplémentaire à notre expérience. La bière partagée en fin de parcours a été un moment de célébration, une reconnaissance de notre accomplissement et de la camaraderie développée tout au long du voyage.
L’interview avec Guillaume Roy du Quotidien, organisée chez Johanne Robertson, a été un point culminant supplémentaire. Cette rencontre a été l’occasion de discuter de notre voyage, de partager nos expériences et de remercier ceux qui ont soutenu notre aventure. Les échanges avec Michel Jean et Julie Larouche de Radio Canada ont également été des moments précieux, ajoutant une dimension médiatique et culturelle à notre voyage.
Malheureusement, nous avons manqué Jeannette, qui avait été emmenée en ambulance. Michel Jean aurait aimé nous la présenter, elle rejoindra Almanda et Thomas quelques jours plus tard…
Célébrer la nature dans toute sa splendeur
En conclusion, bien que notre expédition sur les traces de Kukum ait pris fin, elle a laissé une empreinte indélébile sur nous. La rivière à la Chasse, où Almanda rencontre Thomas, reste un lieu mystérieux et symbolique, et peut-être est-ce le début d’une nouvelle aventure pour l’avenir. Cette expérience nous a permis de nous reconnecter avec la nature, d’apprécier les défis physiques et émotionnels de l’expédition, et de mieux comprendre la richesse culturelle des Innus.
Notre voyage sur les traces de Kukum n’était pas simplement une aventure physique, mais aussi une quête de compréhension et de connexion avec l’histoire et la culture d’un peuple résilient. Nous avons appris à apprécier la beauté et la complexité du Nitassinan, à respecter les traditions et les histoires des Innus, et à célébrer la nature dans toute sa splendeur. Chaque instant passé sur les rives de la rivière Péribonka et chaque rencontre avec les personnes locales ont contribué à faire de cette expédition une expérience inoubliable, pleine de découvertes, de défis et de moments de profonde réflexion.
À travers cette aventure, nous avons non seulement vécu les défis et les beautés d’un territoire grandiose, mais nous avons également été témoins de la force et de la résilience d’un peuple qui continue de préserver et de partager son patrimoine culturel avec le monde. Les souvenirs que nous avons emportés avec nous, des paysages grandioses aux rencontres chaleureuses, resteront à jamais gravés dans nos esprits, nous rappelant la richesse de notre voyage et la profondeur de notre connexion sur les traces de Kukum.
Sur les Traces de Kukum : Expédition Péribonka 2024
✍🏻 Franck Junod