Jean-Pascal Crochet – Head Coach du Sprint

A la suite de notre article paru après l’annonce des sélectionnés olympiques de sprint, nous avons pu échanger avec le Head Coach des Bleus à quelques semaines des Jeux Olympiques. Il revient pour nous sur la surprise créée lors de l’annonce, le problème des quotas, mais aussi sur les perspectives des sprinteurs à 4 semaine des J.O.

On est à 4 semaines des Jeux Olympiques de Tokyo. Comment se porte le collectif France ? 

Le collectif se porte bien ! Il poursuit sa route vers Tokyo. La préparation des dernières échéances de la saison a souvent été une force du collectif sprint, alors je suis confiant dans nos capacités.

Nous avons réalisé un stage à Temple-Sur-Lot d’une semaine début juin, un lieu que nous connaissons bien et qui nous sert à préparer toutes les échéances importantes. Nous retournerons sur ce site une semaine à partir du 27 juin.

Certains athlètes ont fait le choix d’aller aux championnats de France à Gravelines pour s’engager sur une dernière course en monoplace avant notre départ pour le Japon prévu le 15 juillet.

Les mesures sanitaires ont complexifié tous nos déplacements depuis des mois, c’est forcément plus contraignant pour les sportifs et sportives. Mais à Temple, nous parvenons à créer une bulle sanitaire tout en gardant des conditions de vie conviviales et optimales pour l’entraînement. Nous poursuivons la préparation des jeux dans de très bonnes conditions.

© Matthieu Tourault

Nous avons préparé activement notre déplacement au Japon, et ce depuis des mois avec tout l’encadrement technique, sportif et médical. Il reste encore quelques détails sanitaires à caler afin de répondre parfaitement aux règles en lien avec l’organisation d’un tel évènement planétaire confronté à une crise sanitaire compliquée pour tous. Le principal est bien sûr que l’équipe de France arrive en pleine santé. Et qu’elle puisse prendre le départ en respectant les règles imposées tout en restant concentrée sur les objectifs

Nous effectuerons notre stage de préparation finale à Komatsu. C’est également un lieu que le staff connaît puisque nous étions sur ce site en 2008 pour la préparation des Jeux de Pékin. Nous avons la chance d’avoir pu réserver ce site dès 2017 au Japon pour nous acclimater à la chaleur et assimiler le décalage horaire. 

Avec des températures élevées et un fort taux d’humidité, ce paramètre pourra s’avérer déterminant. Le départ de France s’effectuera le 15 juillet, les différents collectifs rejoindront le village Olympique les 28 et 29 juillet.

Rendez-vous pour la première course le 2 août à Tokyo.

Les sélections olympiques suscitent toujours beaucoup de commentaires. 2021 n’échappe pas à la règle ; parmi ceux les plus entendus, il y a le fait que le staff aurait misé de manière hypothétique sur un K4 500m plus qu’un K2 1000m. Est-ce que c’est vrai ?

Le canoë-kayak est un sport de passionné d’autant plus à l’approche des jeux olympiques. Il parait donc normal qu’il y ait des commentaires et principalement sur les bateaux d’équipage qui suscitent généralement plus de questionnement.

 A la différence de la plupart des autres disciplines du canoë kayak, le sprint est essentiellement un sport d’équipe. Plus de la moitié des médailles distribuées le sont en équipage. C’est donc une logique de sélection différente qui s’approche plus des sports collectifs. C’est cette logique qui est parfois mal comprise dans le milieu du canoë kayak.

© FFCK

Avec trois quotas et au vu des performances des sportifs, plusieurs choix s’offraient à nous. Le plus pertinent pour atteindre les objectifs de résultats était donc de constituer deux bateaux : 1 K1 200m et un K2 1000 m. 

Les sélections olympiques ont été proposées avec les quotas que nous avions et non ceux que l’on aurait pu avoir. Il est donc évident qu’à ce stade, nous avons focalisé notre attention sur le K2 1000 m. A ce jour, avec trois quotas, le K4 500 m n’est pas une option.

Le K2 Cyrille Carré / Etienne Hubert paraissait, d’un regard externe et non initié, être l’une des chances de médailles les plus concrètes pour le sprint français. Visiblement le staff avait un regard différent…

Les sélections françaises depuis août 2020 démontrent qu’Etienne Hubert et Guillaume Burger sont les meilleurs Français sur la distance de 1000 m. Contrairement effectivement à la saison 2019 où c’était Etienne Hubert et Cyrille Carré. 

Parce que les deux premiers Français ne font pas forcément le meilleur K2. En 2020, nous avons permis à Etienne et Cyrille de s’aligner sur la coupe du monde 2020 et ils ont gagné. 

En 2021, nous étions encore dans la même logique après les sélections françaises. Le staff leur a accordé une nouvelle fois toute sa confiance en les inscrivant sur la coupe du monde de Szeged en mai 2021. L’équipage a eu la possibilité de montrer « l’harmonie dans leur bateau », et que leur K2 était performant. 

En 2019, ils ont gagné la coupe du Monde de Duisburg et idem en 2020 à Szeged. Dans des conditions similaires (pic de forme) et une concurrence similaire entre Duisburg 2019 et Szeged 2021, le niveau de leur K2 est cependant différent en 2021.

© Matthieu Tourault

D’autre part, Etienne et Guillaume sont de bons équipiers. Individuellement, Guillaume a été vice-champion du monde en K4 sur 1000m. Etienne a été champion du monde en K4 sur 1000m. Ils sont en tête des sélections françaises en monoplace sur 1000m.

Il revient donc à ces deux athlètes, maintenant, de construire un K2 performant pour les Jeux. Je crois vraiment en leur potentiel : les entraîneurs et notamment François During font tout pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs.

Bien évidemment, cette décision n’a pas été facile à prendre. Notamment parce que cela écarte Cyrille Carré. C’est un très grand sportif que je (et l’ensemble du staff) respecte au plus haut point pour son palmarès et tout ce qu’il apporte à l’équipe de France de Sprint depuis 2005. Mais le choix de la performance future aux Jeux Olympiques doit passer avant mes sentiments personnels. Ou avant mon envie de le remercier pour ce qu’il a fait. Cela n’enlève rien à la confiance que nous avons en lui, et ce, encore pour les années à venir.

La performance reste pour les athlètes et la fédération l’objectif ; ma mission de Head Coach et celle du staff est d’accompagner les athlètes dans cette recherche de performance. 

En défendant l’hypothèse qu’un autre K2 1000m Burger / Hubert serait plus performant à Tokyo, comment se fait–il que le remplaçant olympique soit un spécialiste de K4 500m et non pas Cyrille Carré ? 

Si nous obtenons le quatrième quota pour les Jeux, ce qui reste hypothétique, la seule question à laquelle nous devons répondre reste la même :

Comment permettre à la France d’obtenir une médaille aux Jeux avec quatre quotas en kayak homme ?

Donc dans ce contexte, nous aurions la possibilité d’obtenir une médaille supplémentaire en K4 500 m. La priorité restera néanmoins le K2 1000m, autrement Etienne ne serait plus dans la sélection.

© Matthieu Tourault

Nous aurons donc besoin d’un 4ème athlète performant pour constituer un K4 ambitieux en combinaison avec les 3 autres athlètes déjà sélectionnés. Notre choix s’est naturellement porté sur Francis Mouget.Cependant, contrairement à cette affirmation, Cyrille Carré est bien remplaçant pour les Jeux Olympiques, dans le cas où Etienne ou Guillaume ne pourraient pas participer.

Sur la question des quotas, qui semble bien compliquée, que s’est-il passé en amont pour que l’ICF commette une erreur aussi grossière que l’inscription d’une nation qui a pourtant décroché puis renoncé à son quota ? La France n’a-t-elle pas elle aussi commis une erreur ?

Les règles d’attribution des quotas de l’ICF sont complexes et sujettes à interprétation. Le questionnement portait sur l’attribution du quota mono place 1000m à Etienne Hubert. Etienne Hubert a-t-il eu le quota ou ne l’a-t-il pas eu ?

La France a donc posé cette question par courrier officiel à l’ICF.

L’ICF a fait une réponse très claire au DTN par courrier. Dans le jugement du Tribunal Arbitral du Sport, elle a également maintenue cette position en février 2021. Elle indique sur tous les documents de son site internet et tous les documents officiels (que les médias ont pu se procurer) qu’Etienne Hubert n’a pas eu le quota du K1 1000m. Elle a envoyé cette information à toutes les fédérations internationales.

L’ICF a donné à l’automne 2019 le quota a l’argentin, 8au championnat du Monde 2019, soit juste derrière Etienne.

L’ICF n’a donc jamais attribué le quota du K1 1000m à Etienne Hubert. Par conséquent, l’ICF nous a légitimement autorisés à courir le rattrapage olympique en mai dernier.

Je ne vois pas d’erreur de la France, le quota d’Etienne Hubert n’a jamais été rendu et n’a jamais été attribué. Nous avions demandé, ce qu’il en était. Les réponses étaient claires.

Comment se fait-il que Simon Toulson, le secrétaire général de l’ICF, soit revenu sur sa décision après course ?

Je ne suis pas en mesure de commenter les décisions du secrétaire général de l’ICF. Il a toutefois reconnu avoir fait une erreur après les courses de rattrapage en mai 2021. Cette erreur date de l’automne 2019. 

Malgré les nombreuses occasions qui se sont présentées durant deux ans, le secrétaire général n’a pas changer sa décision. Il est dommageable pour l’intégrité physique et mental des sportifs de changer sa position sur cette décision une fois la compétition terminée.

D’ailleurs, n’y a-t-il plus aucune chance de récupérer ce fameux quota ?

On espère encore. Nous avons bien conscience que si le TAS nous donne raison, même tardivement, cela risque de déstabiliser tout le système et pourrait donc influencer sa décision. 

On attendait beaucoup du CIO. Seul le CIO pouvait en effet attribuer des quotas complémentaires aux Fédérations Internationales. Malheureusement, le CIO n’a pas souhaité faire ce choix.

© Matthieu Tourault

On parle beaucoup des kayaks hommes car la situation est compliquée. Mais toute l’équipe de France a raté son rendez-vous hongrois qui était pourtant l’une des seules prises de repères possibles avant Tokyo, y compris pour d’autres bateaux. Ce manque de repère ne peut-il pas être préjudiciable et restez-vous optimiste ?

En août 2019, l’équipe de France de Sprint obtient deux médailles de bronze et 8 quotas en terminant dans les 5 premiers de ces mondiaux. 

Un an après, il y a une coupe du Monde (Szeged 2020) mais personne n’y participe ; quand je dis personne, c’est aucun athlète « fort » sauf le K2 1000m espagnol. 

Nous faisons encore des résultats intéressants. 

A Szeged 2021, les meilleurs éléments mondiaux sont présents mais l’équipe de France dans son intégralité est en difficulté. 

C’est un constat que nous partageons forcément avec l’ensemble de ceux qui s’intéressent à l’équipe de France de Sprint. Ce constat a défaut de réponse immédiate questionnent forcément le staff pour les prochaines olympiades.

© Matthieu Tourault

Cependant, malgré les difficultés, nous préparons Tokyo avec la plus grande détermination et les mêmes objectifs. Nous avons encore du travail d’ici l’échéance olympique. Nous y consacrerons (le staff et les athlètes) tout notre temps et notre énergie. Pour répondre à votre  question sur le manque de repères…Nous avons pris des repères. On voit clairement que nous n’obtenons pas les résultats imaginés par rapport à la concurrence.

Durant ces quelques semaines qui nous séparent des Jeux, nous tirons ensemble, staff, athlètes, les enseignements de cette coupe du Monde de Szeged.

Bien sûr que nous sommes optimistes, nous sommes réalistes et surtout déterminés.

Les garçons et les filles défendront leurs chances jusqu’au dernier coup de pagaie. Les entraîneurs avec les athlètes optimisent chaque jour et chaque séance pour que les athlètes atteignent leurs objectifs. 

© Matthieu Tourault

Ensemble, nous ferons tout pour atteindre l’objectif ultime, il n’a pas changé depuis le début de l’olympiade. 

Le sport est teinté d’incertitude, le plus dur pour être performant est souvent de l’accepter. Dans notre position, ce sera l’une de nos forces.

Nous sommes capables d’aller chercher les médailles à Tokyo, c’est l’objectif des athlètes, c’est notre objectif. Nous avons aussi en ligne de mire les prochains Jeux dans 3 ans dans notre pays qui arrivent à grands pas.

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