En septembre dernier, de retour des Jeux olympiques, on a rencontré Maxime Beaumont pour la version papier de votre magazine, voici l’intégralité de l’interview désormais disponible en version numérique.
« Pagayer avec mon cœur et mes tripes »
Seul médaillé de la course en ligne tricolore, Maxime Beaumont se voyait en or à Rio, avant d’apprendre à savourer l’argent. Le vice-champion olympique du K1 200m revient pour nous sur ses Jeux, son parcours, son club et les doutes qui ont jalonné sa carrière jusqu’au podium olympique. Rencontre avec un champion fier de ses valeurs, qui rêve encore d’aller plus haut. Depuis il a d’ailleurs annoncé qu’il irait jusqu’à Tokyo en 2020.
Est ce que tu peux nous raconter ta finale olympique ? Au bout tu décroches la médaille d’argent, est ce que tu as des regrets sur cette course ?
Maxime Beaumont : « En finale j’étais vraiment concentré sur mon départ, car en demi-finale j’avais un peu manqué cette mise en action. Je suis bien parti et en revoyant les images cela confirme mes sensations sur le coup, car je sens que je pars vite. Après je ne fais pas d’erreur, je ne vois pas l’Anglais revenir car je ne tourne pas la tête durant la course. Lorsque je lance mon bateau sur la ligne d’arrivée je ne sais pas où j’en suis, alors qu’en fait 30 à 40 cm nous séparent.
Je n’ai aucun regret car j’ai tout donné, en respectant ma stratégie de course. Il y avait juste un adversaire plus fort que moi ce jour là. La tactique est simple pour moi sur 200m, je dois partir vite, atteindre le plus vite possible ma vitesse maximum et résister le plus longtemps possible. Sur cette finale des Jeux olympiques, malgré un vent de face, j’ai atteint une vitesse max que je n’avais jamais réalisé en course, donc j’ai vraiment fait ma course.
Un mois après ta médaille d’argent en K1 200m aux Jeux olympiques de Rio, est ce que la vie de Maxime Beaumont a changé ?
M.B : « Oui elle a bien changé. Je découvre la notoriété, notamment à Boulogne sur Mer. Lors du trajet de retour en train, en rentrant de Rio, les gens me reconnaissaient et c’était amusant. Certains osent venir me voir, d’autres ne savent pas comment m’aborder, ma voisine dans le train me prenait en photo discrètement avant de finalement me demander si j’étais bien médaillé olympique.
En rentrant j’ai été bien accueilli, on a fêté ma médaille au club. Le lendemain au restaurant, je ne me doutais pas qu’on m’interpellerait. Dès que je vais dans un commerce ou boire un verre avec des amis, on me reconnaît régulièrement. C’est génial, mais je relativise car c’est éphémère. Cela me fait plaisir car je partage ma médaille avec plein de monde, même des gens que je ne connais pas et c’est amusant. Sur les réseaux sociaux je me suis rendu compte que j’avais fait découvrir le kayak, lors des Jeux, à des gens qui ne le connaissaient pas. Les gens me connaissent, m’apprécient, j’ai fait connaître le kayak de course en ligne et j’ai essayé de véhiculer les belles valeurs de mon sport donc je crois que ma mission est remplie. Je savoure d’autant plus cette médaille d’argent.
Comment as-tu vécu cette médaille à Rio ?
M.B : « Dans les premières minutes d’après course j’étais déçu, surtout après avoir mené durant plus de la moitié la course. J’y ai cru jusqu’au bout, je voulais l’or, mais la déception s’est atténuée quand j’ai pris conscience de ce que représente une médaille olympique.
J’ai vécu les deux situations ; aux Jeux de Londres en 2012, j’étais au pied du podium, à Rio je suis médaillé. La marche est énorme entre les deux. Derrière, tout ce que j’ai pu vivre avec cette médaille a largement compensé cette déception de manquer l’or. Mais sportivement je ne l’ai pas encore digéré, et je réfléchi en ce moment à tout ce qui n’a pas été et tout ce qu’il faut améliorer pour gagner l’or.
Tu t’alignais à Rio pour gagner deux médailles, en K1 200m mais aussi en K2 200m où vous terminez 7ème. Qu’est ce qui vous a manqué avec Sébastien Jouve en biplace ?
M.B : « C’est difficile, on n’a pas encore fait un bilan avec Sébastien et François During notre entraîneur. On ne voulait pas le faire dans l’euphorie des Jeux, aussi parce qu’on courrait tout les deux après le biplace, lui en K4 1000m et moi en monoplace 200m. L’idée c’était de switcher pour être dans de bonnes conditions pour nos courses suivantes.
Le jour de la finale on a tout donné, on a fait notre course. Mais on n’était pas à notre meilleur niveau dans cette finale, on aurait pu faire mieux.
24 ans après le bronze du C2 1000m aux Jeux de Barcelone, il y a, à nouveau, un Boulonnais sur le podium des Jeux. Tu succèdes à Didier Hoyer, originaire de Boulogne sur Mer lui aussi. Qu’est ce que cela représente pour toi ?
M.B : « C’est en voyant la course de 1992 que j’ai eu envie de devenir un champion. Didier Hoyer m’a inspiré, m’a donné envie, il a été mon entraîneur, mon employeur. Lorsqu’il était président du club, il m’a donné les moyens de m’entrainer en se battant pour me trouver une convention avec les collectivités locales. Je n’avais pas de résultats à l’époque donc il m’a dit proposé ce poste d’entraîneur au club, mais en travaillant à mi-temps. Comme j’ai réussi à terminer 8ème des mondiaux en K1 1000m, il a vu que le pari était gagnant. Il a su me faire confiance pour passer un cap. Je suis un peu son successeur, d’ailleurs la veille de la finale, je lui ai demandé conseil pour aborder correctement cette course. Il m’a répondu simplement de ne pas faire attention aux autres, de tout donner et d’aller manger cette ligne d’arrivée comme je savais le faire. Ce message m’a rassuré peut-être, il m’a aidé venant de quelqu’un d’expérience.
« J’ai tout les vices (…) mais entendre son hymne j’ai envie de vivre ça »
Si on regarde ton palmarès, tu as des médailles en grands championnats, mais il te manque encore un titre. Tu as déjà gagné l’or en Coupe du monde, mais est-ce un manque pour toi cette absence de titre majeur ?
M.B : « Oui c’est un manque et c’est pour ça que je continue. J’ai tous les vices ! Vice-champion d’Europe, vice-champion du monde, vice-champion olympique. J’ai entendu la Marseillaise en Coupe du monde, mais elle doit avoir une saveur particulière en grand championnat. Entendre son hymne c’est un moment à part, j’ai envie de vivre ça. Me dire que je suis le plus rapide à un moment donné, en Europe ou dans le monde c’est l’objectif.
Tu es licencié au club de Boulogne sur Mer, club réputé pour sa formation en canoë. Didier Hoyer était céiste. Est ce qu’un kayakiste boulonnais médaillé olympique c’est une « anomalie » ?
M.B : « Non ! (Rires) Maintenant les kayakistes du club sont contents de dire qu’on est un club de kayak depuis cette médaille. En fait ça chambre au club, car historiquement on était un club de canoë mais la tendance s’est équilibrée depuis quelques saisons. On est surtout une grande famille.
Pourquoi tu as choisi le kayak ?
M.B : « On commence tous par le kayak et lors de ma première compétition j’ai gagné, donc ça m’a conforté dans ce choix. Après il y a eu des périodes de doutes parce que mes copains, en canoë, enchainés les médailles et moi en kayak au niveau national je prenais des volées. Je ne faisais presque pas d’équipages en plus. Un moment je me suis dis que je devais me mettre au canoë mais en fait après avoir essayé je me trouvais en retard, donc je suis revenu au kayak. A la longue ça me plaisait d’être un peu le pionnier en kayak homme au sein du club.
On te connaît peu. Comment es-tu venu au kayak ?
M.B : « Par hasard. Un été ma grand-mère, qui m’emmenait à la plage, m’a proposé de faire du kayak, car je tournais en rond. Le club avait une extension durant l’été sur la plage de Boulogne sur Mer pour faire découvrir le kayak de mer. La première fois je me suis baigné, j’avoue, mais j’y suis retourné avec un copain. En septembre on s’est inscrit tout les deux au club, on a découvert une super ambiance et c’était parti, ça fait 25 ans que ça dure maintenant.
Est ce que tu te souviens de ta première compétition ?
M.B : « Oui bien sûr, c’était à Saint-Quentin, en Picardie. C’était un format bizarre, un relais par deux autour d’une île. J’ai couru avec le copain qui avait débuté avec moi deux mois plus tôt, on a gagné mais on n’a pas eu de résultats officiels. Je me souviens c’était en novembre, on était poussin et on courrait en CAPS !
Quand est née, chez toi, l’envie d’être un champion ? Est ce que tu l’avais déjà en poussin quand tu as poussé les portes du club de Boulogne sur Mer ?
M.B : « Lorsque j’ai débuté, j’étais déjà compétiteur, depuis toujours et pour tout. Je n’aime pas perdre, même aux jeux de société. A l’époque je voulais gagner, mais pas forcément être un champion. Quand j’ai vu Didier Hoyer aux Jeux olympiques de Barcelone, un an plus tard, j’ai découvert la haute compétition et ça m’a inspiré pour entrer en équipe de France, puis devenir champion olympique par la suite. Par contre je me suis toujours fixé des objectifs raisonnables, en avançant par étape. Tout le long de ma carrière, j’ai progressé d’année en année, je n’ai jamais régressé en terme de résultats.
C’était comment la vie de Maxime Beaumont à côté du kayak quand tu as débuté ?
M.B : « À l’école je n’étais pas mauvais élève mais j’assurais le minimum, la moyenne, pour ne pas me faire reprendre par mes parents. Mais je n’allais pas chercher plus. J’avais donc du temps pour jouer avec mes copains, m’entraîner. Je n’avais pas de grandes ambitions dans mes études, j’étais focalisé sur le sport, donc j’organisais tout pour devenir sportif de haut-niveau.
« J’ai toujours été un besogneux »
Quand as-tu senti que tu pourrais faire du haut-niveau ?
M.B : « J’ai toujours été un besogneux. Au début c’était sans doute un défaut car je faisais de la quantité sans m’attacher à la qualité de mon entrainement. En 2007, lorsque Philippe Colin et Cyrille Carré sont devenus champions du monde du K2 1000m à Duisburg, j’ai eu un déclic, car je me suis dit que c’était possible. On pensait tous que les Allemands et les Hongrois étaient intouchables, ils ont prouvé que c’était possible, même avec 5cm de moins en tour de biceps. Puis en 2009, je me suis fracturé le coude et le kayak m’a manqué. J’ai donc tout mis en œuvre pendant cette période pour retrouver le haut-niveau. Je me suis questionné sur tous les aspects à travailler pendant cet arrêt forcé. C’est à ce moment que j’ai débuté la préparation mentale, toutes les séances je les faisais en vélo en salle, j’ai fait attention à la nutrition et j’ai fait de la musculation par électrostimulation pour perdre le moins de temps possible. J’ai aussi appris à m’étirer et j’ai trouvé un bon relâchement grâce à ça, que j’ai retrouvé en reprenant le kayak. J’ai amorcé à ce moment là, ma démarche vers le haut-niveau.
Comment s’est passée ta première sélection en équipe de France ?
M.B : « C’était en 2002, avec l’équipe de France moins de 23 ans (U23). J’y croyais à peine en arrivant aux sélections. Aux championnats d’Europe à Zagreb c’était une découverte pour moi, et j’ai pris une bonne claque. A l’époque je courrais en K2 500m et K2 1000m, mais on n’a pas dépassé les demi-finales. Je ne voulais pas revivre ça, donc ça m’a motivé pour aller chercher des finales les saisons suivantes.
Tu as connu des périodes de doute, comme en 2005 à l’INSEP. Explique nous.
M.B : « Je faisais mes études de STAPS à l’INSEP, mais je n’avais pas de voiture, et il n’y avait pas de navettes pour aller à Vaires sur Marne s’entraîner. C’était compliqué avec mes contraintes de m’entraîner avec les autres kayaks hommes. J’étais souvent tout seul. Heureusement parfois je partais avec Mathieu Goubel et Benoit Legrand, mais c’était galère, donc je suis vite retourné à Lille en fin de saison, puis à Boulogne sur Mer.
A l’époque il n’y avait pas la même notion de partage entre les kayaks hommes. J’ai quelques regrets, mais je ne sais pas si j’aurai vraiment pu apprendre à leurs côtés, ce n’était pas vraiment l’envie générale de ces athlètes de transmettre. Je crois que ça m’a surtout forgé le caractère.
Que ce soit ton passage à l’INSEP ou ta fracture du coude, comment tu as vécu ces périodes de doutes, est ce que tu as pensé à arrêter ? M.B : « Non. C’était dur mais inconsciemment j’ai toujours cru en ma capacité à décrocher des médailles au niveau international. Par moment j’avais peut-être l’impression que c’était plus facile que je l’imaginais. Je ne me rendais peut-être pas compte de tout le travail qu’il faut fournir pour devenir un champion, mais en tout cas j’y ai toujours cru. Je me suis toujours dit « fonce et fais le ». Maintenant je croise d’anciens athlètes qui soulignent cette volonté.
D’où te vient cette volonté ?
M.B : « Cette ténacité je ne sais pas vraiment d’où elle vient. Je crois que ça fait partie des valeurs que mes parents m’ont transmises. J’ai aussi eu la chance de côtoyer des entraîneurs qui avaient ces valeurs ; comme Didier Hoyer ou Manu Voynnet. Ils m’ont appris à souffrir, à dépasser mes limites, à pagayer avec mon cœur et mes tripes. Je pense que ces valeurs me font aller au bout.
Il y a des périodes de doutes dans une carrière et il y a des tournants. En 2011, tu sors du K4 1000m et tu choisis le K1 200m, est ce que tu vois cet épisode comme un moment clé ?
M.B : « Oui c’est un double tournant. Je passe du 1000m au 200m et une nouvelle fois certains n’ont pas cru en moi mais j’ai passé un cap mentalement. Si on me dit que je ne peux pas le faire, je vais tout faire pour y arriver.
En 2011, les gars m’ont sorti du K4 1000m (champion du monde en 2010), alors que sportivement j’avais le niveau, mais les trois autres étaient champions du monde et moi j’étais le petit nouveau. On m’a dit tu sors pour la confiance du bateau, mais mon remplaçant n’était pas champion du monde la saison précédente. J’aurai pu cautionner, car le bateau n’était pas performant, mais je ne pense pas que je devais sortir. J’ai été vexé et déçu.
Finalement j’étais content de ne plus avoir cette pression de mes équipiers et du staff parce que les résultats ne venaient pas. J’étais la pièce rapportée dans ce bateau et c’était forcément de ma faute. Derrière je gagne le K1 1000m aux championnats de France, comme un pied de nez. J’ai choisi de faire le K1 200m pour la suite de la saison internationale, après en avoir discuté avec François During mon entraîneur. On avait plein de pistes de travail pour cette distance, et on a vite mis en place une préparation spécifique. Je termine 4ème aux championnats du monde et j’ouvre le quota donc j’ai fait le bon choix.
Tu travailles avec François During depuis 2009. Quel regard tu portes sur votre collaboration ?
M.B : « Pour moi c’est l’un des meilleurs entraîneurs au monde. Il est capable de travailler avec l’athlète d’égal à égal mais il est aussi capable de rappeler à l’ordre quand il y a besoin. Il sait être franc et il a toujours su me dire les choses au bon moment. Je crois que c’est pour cela que ça marche aussi bien, car dans la planification il a su, lui aussi, se spécialiser et avancer étape par étape. On a gardé des aspects de la préparation du 1000m et fait la transition vers le 200m. Il est toujours à la pointe, il s’enrichit des expériences des autres sprinters en athlétisme et en cyclisme sur piste par exemple. C’est un entraîneur imprégné de cette sensibilité du sprint. En tant qu’athlète on avait le même profil, tourné vers des distances courtes, et dans la vie aussi on s’entend bien. On a des désaccords par moment mais on sait en discuter pour avancer.
Ton club a une place prépondérante dans ta carrière. Quel regard tu portes dessus ?
M.B : « Je n’ai jamais changé de club, c’est ma deuxième famille. Je n’envisage pas de faire du kayak ailleurs qu’au club de Boulogne sur Mer. On rigole avec Mathieu Goubel, car lorsqu’on nous demande notre devise on répond « Boulogne Power », mais c’est le reflet d’une somme de valeurs acquises au club depuis qu’on est gamin. On a forgé une partie de notre personnalité et de nos repères d’athlètes en grandissant dans le sport, au club. Le club m’a donné du boulot, et il m’a toujours soutenu, il est au cœur de mon projet.
Que serait devenu Maxime Beaumont sans le kayak ?
M.B : « Je ne sais pas… J’aurai peut-être fait un autre sport. Mon choix s’est rapidement tourné vers le haut-niveau donc je n’ai pas eu la même jeunesse que mes copains du lycée. J’ai moins fait la fête, mais j’ai appris des valeurs qui sont transposables aujourd’hui dans ma vie.
La suite de ta carrière tu la vois comment ?
M.B : « La suite c’est l’or ! L’idée c’est d’aller chercher de l’or en grand championnat. Les Jeux de Tokyo sont loin et j’aurai 38 ans. Je vais prendre année par année en voyant comment le niveau évolue. Si je vais à Tokyo ce n’est pas pour faire le voyage, mais pour une médaille. J’y réfléchi sérieusement, l’aventure m’attire. Je ne dis pas que je serai le K1 200m dans quatre ans aux Jeux, cela dépendra des opportunités qui s’offriront pour chercher l’or, que ce soit sur 1000m, 500m ou 200m, en K1 ou en équipage. Je ne ferme aucune porte, ça dépendra de moi, des autres athlètes français et du nouveau programme olympique. En 2017, je reste sur un objectif sur K1 200m. »
Interview : Mélanie Chanvillard Photos : Julien Crosnier